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Chroniques
Beethoven, Dalbavie et Haydn
Mozarteumorchester Salzburg, Christoph Eschenbach
Le portrait de Marc-André Dalbavie se poursuit avec deux œuvres concertantes, encadrées par un programme très classique. Cette confrontation s’inscrit dans la constante interrogation du compositeur français sur les traditions musicales anciennes, comme en témoignaient les deux pièces entendues avant-hier ainsi que son nouvel opéra [lire nos chroniques du 9 et du 10 août 2014], Charlotte Salomon (qui d’ailleurs met en scène la vie d’une artiste, comme le fit son Gesualdo quelques années plus tôt).
Lorsqu’il était directeur musical de l’Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach [photo] n’a certes pas boudé la créativité de ses contemporains français. Aussi servi-t-il celle de Dalbavie dont, à la tête de cette formation, il enregistra la Ciaccona (2002) et le Concerto pour violon (1996). Nous le retrouvons ce soir au pupitre du Mozarteumorchester Salzburg, tout d’abord dans le Concerto pour flûte (2006), créé in loco par les Berliner Philharmoniker sous la battue de David Zinman, Emmanuel Pahud assumant alors la partie soliste [lire notre chronique de la première française, le 1er décembre 2006]. Distingué par de nombreux prix internationaux, Mathieu Dufour devint flûte principale de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse à l’âge de vingt ans et occupait trois ans plus tard le même poste dans la fosse de l’Opéra national de Paris. Deux hivers passent et le voilà au Chicago Symphony Orchestra, avant d’être admis tout récemment deuxième solo des Berliner Philharmoniker – c’est donc sur deux flûtistes français que compte désormais le Zirkus Karajani.
Timbre et perception, habituelles préoccupations de Dalbavie, nourrissent assez évidemment le Concerto pour flûte, une œuvre preste à l’écriture solistique proprement infernale. Virtuose, la vivacité de cette partie, volontiers répétitive, trouve en Mathieu Dufour un interprète endurant qui la sert magnifiquement. Une séquence cantabile vient aérer cette faconde redoutable, mélopée éthérée sur une pédale de cordes. Un trait de nuance PP laisse goûter l’excellence des cors de l’orchestre salzbourgeois. Sur un surplace du rôle principal, quatre glas ponctuent un miroitement séducteur des timbres. La flûte sera relayée par ses collègues du pupitre, avant une reprise électrique, voire foudroyante, du motif initial, contaminant les cordes, la harpe, etc., et bondissant dans divers jeux d’attaque, sur un écho de métallophone. Avant la conclusion tinte un de ces carillons chers au compositeur.
Réorchestrée l’an dernier à partir de sa version pour petit effectif (2008), la Suite pour violoncelle et orchestre convainc nettement moins. Elle s’articule en plusieurs moments dont l’obsédant rappel finit par accuser une inspiration assez pauvre. Après une attaque en déflagration descendante très « grattée », le soliste engage une phrase lente et abondamment vibrée, rehaussée par des glissandos de pizz’. Avec un son plein et une précision rare chez ses pareils, le jeune Dimitri Maslennikov (né en 1980 à Saint-Pétersbourg) se révèle un interprète précieux qu’il faut suivre de près. Survient un répons du tutti qui n’est pas sans évoquer la pratique grégorienne, mâtinée d’une gamme pentatonique descendante. Outre qu’elle parcourt des intervalles parfois acrobatiques, la partie de violoncelle oscille entre rage frémissante et suspension du geste en un mol entrelacs très savants. Une cadence qui s’attache à la variabilité de la dynamique est subtilement éclairée par un accord de flûte dominant l’orchestre, puis la hargne du début revient, sur un accompagnement tournoyant. Le motif se resserre en pizz’ puis en tremolo extrêmement tendu, générant un ultime thème solo pianississimo. L’orchestre reprend le trait répétitif pour l’égrainer en un decrescendo fort délicat, interrompu à mi-course. L’effet est saisissant… mais voilà que le trépignement nerveux reprend de plus belle ! C’est dans cette suspension que l’œuvre se concluait idéalement, plutôt qu’à ressasser stérilement ses trouvailles en une nouvelle partie avantageusement dispensable qui épuise son soliste (il est sollicité sans trêve quelques trente minutes durant, précisons).
De part et d’autre de ces opus dalbaviens, une symphonie ancienne.
L’étonnant Adagio d’ouverture de la Symphonie en la majeur Hob.I :21 d’Haydn commençait ce concert, dans une inflexion bientôt gracieusement chantée, sur un dessin posé à l’inflexion bonhomme. Spécialiste de cette période de l’histoire de la musique, le Mozarteumorchester Salzburg l’interprète avec un naturel inégalé. La nuance de l’effervescent Presto est exquise, enlevant avec maestria traits véloces et ornements. Plus de vingt ans plus tard, le menuet de la Serenade K.525 de Mozart citerait l’amorce du thème de celui de la Vingt-et-unième d’Haydn, tendrement réalisé par les violons de ce soir. Un grand soin de la dynamique et une saine égalité de couleur se conjuguent dans la passionnante vivacité, pleine d’esprit, du dernier mouvement.
Surprenant également, ce début de la Symphonie en ut majeur Op.21 n°1 de Beethoven, en manière de cadence de fin ! Eschenbach en cisèle minutieusement l’impact, puis élève peu à peu une certaine emphase lyrique au corps de l’Allegro. Le son est désormais plus épais, sans entraver la belle tonicité des violons et la grâce des bois. Après une fin de premier mouvement un rien alourdie, l’Andante ira peu à peu en ralentissant, au point de déjouer le cantabile attendu. L’élégant fugato conclusif vient « détoxifier » cet embonpoint. Loin de tout amabilité dix-huitièmiste, malgré des cordes délicieusement soyeuses, la gentille frénésie du Menuetto ne s’attarde pas, léguant une sonorité ronde à l’Adagio introductif de l’ultime épisode, Allegro déchaîné que Christoph Eschenbach mène joyeusement.
BB